" Mon père était animé par une passion pour ses bêtes, il veillait à la traçabilité et à la pureté de la race « Aubrac », en veillant à ses spécificités. Dans les années 80, quand je suis né, cette race a failli disparaitre !" Interview Florent Chauchard

— Interview Florent Chauchard – éleveur

Quelle est l’histoire de votre exploitation ?                                           

Mon grand-père André était fermier ici, à Montagnac. En 1949, il l’a achetée ainsi qu’une « Montagne » sur le plateau de l’Aubrac. Une Montagne, c’est là où nous montons les vaches en estive de mai à octobre. Là-haut le terrain n’est pas labourable mais l’herbe y est abondante, l’eau aussi ; et pendant ce temps, ici sur le causse plus bas en altitude, nous exploitons nos champs pour nourrir les bêtes le reste de l’année en foin et en grain. Quand mon grand-père part à la retraite, il divise la ferme en deux parties, l’une pour mon oncle qui élève des ovins et l’autre pour mon père avec des bovins. Mes deux frères Frank et Jean-Yves ont pris d’autres horizons professionnels.

Mon père était animé par une passion pour ses bêtes, il veillait à la traçabilité et à la pureté de la race « Aubrac », en veillant à ses spécificités. Dans les années 80, quand je suis né, cette race a failli disparaitre !

Pour continuer à ses côtés, j’ai commencé des études agricoles à Rignac que je n’ai pas pu terminer car mon père est tombé malade et il a eu besoin de moi pour lui aider à travailler sur l’exploitation. Plus tard, j’ai repris ma formation à la Chambre d’agriculture en formation adulte en alternance pour enfin m’installer en 2003. Au décès de mon papa en 2008, j’ai hérité de la ferme et me suis installé. Pour moderniser et faciliter le travail auprès des bêtes, j’ai construit cette stabulation en 2009. Depuis 2018, Marie ma compagne, travaille avec moi, nous sommes en GAEC ; elle aussi était à l’école d’agriculture de Baraqueville. Elle continue à travailler à l’extérieur de la ferme à temps partiel en tant qu’aide à la personne. Nous avons 80 mères vaches Aubrac et notre cheptel est de 200 bêtes.

Pourquoi votre famille fait-elle encore la Transhumance à Aubrac ?       

J’ai 42 ans, j’ai toujours fait la Transhumance ! Quand j’étais petit c’est ma grand-mère paternelle Marie-Louise qui préparait tout ! Notre maman est décédée quand j’avais 7 ans : c’est elle qui nous a élevés !
Pour nous, la Transhumance était synonyme de repas gargantuesques : estomac farcis, poulets rôtis, jambon de pays fumé…De rencontre, de musique de champs : la fête.

Depuis, adulte j’ai réalisé toute l’organisation qu’elle requiert et ses responsabilités ! Mais j’aime toujours la fête qui y est associée. La Transhumance est une nécessité agricole : l’hiver les mères mettent bas au chaud dans les étables, au mois de mai quand le temps devient plus clément sur l’Aubrac (qui culmine à 1 300 m d’altitude), nous transhumons nos troupeaux, les veaux y passeront 6 mois avec leur mère et y grossiront. Pendant ce temps, nous ferons les foins et stockerons les céréales pour l’hiver. Pas loin de chez nous les greniers à grains : ferme des Bourines, Château de Galinières, le château de Montrozier ont été à leur époque les greniers à grains des moines de la Domerie d’Aubrac !

Revenons à vous : comment se passe votre transhumance ? 

La veille, le samedi en début d’après-midi des amis viennent nous aider à préparer les décorations traditionnelles que nous mettrons sur les plus anciennes vaches qui guident le troupeau. Nous nettoyons les cloches qui avertissent notre passage, nous accrochons les fleurs en papier sur les branches de houx ou de buis. Il y a aussi une décoration en fer avec notre nom. Au lit de bonne heure car nous avons rendez-vous à 4 heures le dimanche matin. Avec toute l’équipe, on commence par prendre un petit déjeuner aux tripoux dans la stabulation. Nous avons environ 50 personnes qui viennent nous aider. Notre doyen faisait déjà la Transhumance du temps du pépé. Ce qui est bien aussi c’est que nous avons tous les métiers qui marchent ensemble ce jour-là !

C’est Marie qui s’occupe des repas et du ravitaillement. Un critère très important également et que nous ne maîtrisons pas : c’est la météo ! Pluie, gel, neige, brouillard, soleil : il faut y aller. Une première équipe en voiture part fermer les passages. Il faut savoir que les vaches sont très rapides au début, elles ont hâte d’être là-haut. L’autre équipe accompagne le troupeau et veille à sa sécurité. La troisième équipe assure l’intendance en voiture. Nous faisons 55 km à pied avec 55 mères, les veaux monteront en bétaillère, c’est trop loin. Nous partons de la ferme, puis traversons Gabriac, descendons par Roquelaure, pour traverser le Lot à St -Côme, les vaches boivent à la fontaine, puis en avant la montée vers Aubrac ! Nous devons  passer au hameau  Aubrac à 15h00, difficile quelque fois de traverser le village tant il y a de monde. Lors de l’arrêt du troupeau à la place de la fontaine, nous sommes invités à monter sur le podium pour nous présenter au public. Nous sommes heureux que ce jour-là se soient les vaches les stars !
Nous ne sommes pas encore arrivés à notre estive, nous montons vers la vierge blanche à coté du Royal Aubrac et redescendons vers Recoules d’Aubrac ! Il nous reste 2h00 de marche après Aubrac.
On est content de participer à cet évènement mais on est également content le soir quand tout s’est bien passé sans accident ni accrochage. Heureusement la circulation sur la route que nous empruntons est fermée mais certaines personnes ne mesurent pas le danger que peut représenter leurs chiens. À ce sujet, puisqu’on m’en donne l’occasion, j’en profite pour ajouter quelque chose. Nous sommes des éleveurs, nous connaissons nos bêtes, nous utilisons des bâtons pour les guider. Dans la côte de Salgues, elles bavent, c’est dur : nous aussi, (surtout cette année avec la canicule) ; les bétaillères, c’est pour faciliter la montée. Depuis quelques années, on entend quelques voix qui nous accusent de les maltraiter ! C’est tout le contraire, nous faisons de l’élevage extensif, nous les connaissons toutes individuellement. Régulièrement l’été, nous allons les voir et vérifions leur santé ! Lors de l’été 2021, nous avons été très heureux d’accueillir sur notre estive des randonneurs et d’expliquer notre travail. Bref, le week-end de Transhumance se termine avec l’équipe dans notre stabulation autour d’une soupe au fromage. C’est épuisant, mais nous sommes heureux de concilier travail, fête et partage dans une telle ambiance.

Quels sont vos projets d’avenir ?

J’ai maintenant 42 ans et souhaite continuer à élever des vaches Aubrac et travailler sur notre ferme. Peut-être trouver des hectares supplémentaires afin d’être encore plus autonomes l’hiver ?

Patricia D.